Un article de Felipe Levy Gelle Jr., chargé de plaidoyer à PDG (Peace and Development Group), partenaire d’Autre Terre aux Philippines.
Traduit de l’anglais par l’ONG Quinoa.

Dagyaw est un mot Hiligaynon (une langue de la province de Negros Occidental aux Philippines) qui qualifie le travail collectif d’une communauté. Dagyaw fait référence à la façon dont les agriculteurs d’antan se rassemblaient pour travailler dans les fermes de chacun, une réflexion sur la camaraderie et le volontariat.
En cette période de pandémie de coronavirus, durant laquelle les communautés sont en quarantaine ou en confinement, le dagyaw se révèle comme une propagation de la solidarité, réchauffant les cœurs de ceux qui l’observent.

Le volontariat et la compassion envers les pauvres apparaissent dans les temps les plus durs. Dagyaw para sa pigado (efforts collectifs pour les pauvres) sont des efforts communautaires visant à s’entraider et à apporter un soutien aux personnes dans le besoin.

Au village de Barangay Aguisan, deux femmes leaders ont initié des opérations de secours pour les familles pauvres de la localité. Elles ont demandé des dons aux membres de leur famille, à leurs amis, et même à leurs voisins qui avaient relativement assez pour survivre à la quarantaine de 14 jours. Leurs bénéficiaires sont les familles pauvres de la communauté, dont la plupart sont des travailleurs et des vendeurs de poissons qui ont été déplacés suite aux mesures de restrictions de la circulation.

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Glory Mae Lara, l’une des représentantes, a déclaré qu’elles donnaient des colis alimentaires contenant deux kilos de riz, une boîte de conserve et deux paquets de nouilles. Elles ont déjà pu les distribuer à quelques 357 familles du village et continuent de recueillir davantage de ressources grâce à la bonté de personnes aux Philippines et ailleurs.

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Dans le Barangay Orong, les dirigeants de trois associations d’agriculteurs ont également pris l’initiative de rassembler des denrées alimentaires pour les familles pauvres de leurs communautés respectives. Ils ont pu fournir trois kilos de riz et de nouilles à 20 familles appauvries.

Outre ces efforts, d’autres bénévoles fournissent de la nourriture ainsi que des équipements de protection individuelle (EPI) aux intervenants de première ligne. De nombreux hôpitaux de Negros ont envoyé des messages urgents pour demander des EPI et d’autres matériels.

Un soutien insuffisant de la part du gouvernement

Ce mois-ci, le Congrès philippin a approuvé la loi accordant des pouvoirs d’urgence au président Duterte pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Cela lui permet d’utiliser quelques 275 milliards de pesos philippins pour répondre à la crise du coronavirus dans le pays.

Le gouvernement national a chargé les autorités locales de distribuer des rations alimentaires aux familles des communautés placées sous quarantaine renforcée. Mais ces rations alimentaires suffiront-elles aux survies des familles ? À quelle fréquence une famille recevra-t-elle ces rations alimentaires ? Et sont-elles distribuées à tous les ménages de la communauté ? Telles sont les questions qui trottent dans la tête des gens pendant leur mise en quarantaine.

Dans la province de Negros Occidental, le premier jour de la mise en quarantaine communautaire certaines familles n’ont pas pu recevoir de colis alimentaires et d’autres en ont reçu qui n’étaient même pas suffisants pour un repas familial.

Dans le village de pêcheurs de San Juan, dans le centre de la province, chaque famille a reçu trois kilos de riz, cinq paquets de nouilles et cinq boîtes de sardines. Pour ces familles nombreuses qui dépendent de la pêche et de la vente de poisson pour vivre, la restriction des déplacements pendant la quarantaine signifie la faim. Lorsqu’on leur a demandé s’il y aurait une autre série d’aides dans les prochains jours, elles ne savaient pas…

Ration alimentaire pour la population

Dans la municipalité de La Castellana à Barangay Talaptap, les ouvriers agricoles de la plantation de 700 hectares d’Eduardo Cojuangco ont cessé de travailler. Les autorités municipales ont donné deux kilos de riz et quelques paquets de nouilles aux ouvriers et ont promis d’autres distributions dans les jours à venir. Cependant, sans travail, il est impossible de nourrir la famille d’un ouvrier agricole pendant toute la durée de la quarantaine. Le ministère du travail a déjà publié des directives pour que les travailleurs déplacés reçoivent 5 000 Php (environ 91 euros), mais à ce jour, personne n’a reçu telle somme.

Restriction, répression et gouvernement d’une main de fer

Le gouvernement refuse de qualifier cette mesure un confinement, mais les restrictions sont assez sévères. Elles imposent une quarantaine à domicile stricte ; les déplacements étant limités à l’achat de produits de première nécessité, à l’utilisation des services de santé et à l’exercice d’une activité professionnelle (pour certains secteurs autorisés à fonctionner). Les contrôles frontaliers sont effectués par des barangay tanod ou patrouilles de village au niveau du village, tandis que la police et une combinaison de policiers et de membres de l’armée philippine se trouvent aux frontières des villes.

L’exploitation des transports publics terrestres a été suspendue, tandis que les transports privés sont autorisés pour une seule personne ; heureusement pour ceux qui ont leur propre véhicule, mais pour la majorité de la population, il est extrêmement difficile de se rendre sur les marchés ou dans d’autres établissements.

Des cas de répression marquent la mise en place de la quarantaine communautaire à Negros et dans d’autres régions du pays. La liste des personnes arrêtées pour violation de la quarantaine communautaire et du couvre-feu ne cesse de s’allonger. Le pire est dans la manière dont elles sont punies pour cette violation: certaines ont été placées dans une cage pour chiens et d’autres, incluant des personnes âgées et des jeunes, auraient reçu l’ordre de s’asseoir en plein milieu de la place sous la chaleur directe du soleil. Il a également été rapporté qu’un officier de police de Manille a menacé de tirer sur un homme qui voulait aller à la mosquée pour prier.

Le confinement a également fourni une excuse aux militaires pour continuer à harceler les dirigeants de la communauté de Negros Occidental. A Sitio Lupni, un hameau de Barangay Hilamonan, des membres de la 3ème compagnie d’opérations militaires civiles ont recherchés les maisons des leaders de la communauté Florina Talibutab, Enrita Caniedo et Felipe Levy Gelle, étiquetés auparavant comme organisateurs de la « nouvelle armée populaire » (NPA), la branche armée du Parti communiste des Philippines, dans une émission de radio gérée par des membres de l’armée.

D’autre part, le confinement a également affecté les chaînes de production et d’approvisionnement en nourriture et autres produits de première nécessité. Les agriculteurs se plaignent de ne pas pouvoir se rendre dans leurs fermes, surtout celles très éloignées de leurs foyers. Des points de contrôle sont également mis en place dans la plupart des communautés, gérés par l’armée et la police, et il semblerait que les agriculteurs ne puissent pas passer les points de contrôle s’ils ne peuvent pas présenter un laisser-passer de quarantaine ou une pièce d’identité.

Conclusion

Il est clair que le gouvernement Duterte n’a pas su répondre aux besoins des personnes en quarantaine. Il n’a pas non plus soutenu les travailleurs de la santé en première ligne de cette crise. Et malgré l’appel lancé par le gouvernement à des volontaires, beaucoup ont rejeté cet appel dû au manque d’équipements de protection. Pire encore, le président Duterte a nommé une équipe de militaires et de policiers à la tête de l’équipe gouvernementale de gestion des crises et a récemment ordonné aux militaires d’abattre les contrevenants à la quarantaine.

Cette crise a montré la volonté et la capacité des communautés, des individus et des organisations populaires à être solidaires avec les personnes les plus vulnérables. Malheureusement, le gouvernement n’a pas réussi à déclencher ces actions de solidarité et a plutôt libéré son pouvoir armé pour réprimer des griefs légitimes. Alors que la population continue d’exiger que le gouvernement rende des comptes, ces actions de solidarité et de soutien collectif sont la lueur d’espoir du moment.

– PDG Advocacy team –


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